Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/07/2008

Les silences de la raison d'Etat

Le 7 août 1983, à la sortie du camping Lou Pantaou à Léon dans les Landes, une fusillade opposait quatre militants de l'organisation clandestine Iparretarrak (IK) à deux gendarmes. L'un des militaires était mortellement touché et le second légèrement blessé à une main. Les militants d'IK, eux, prenaient la fuite dans la R4 des gendarmes puis, un peu plus tard, s'emparaient d'une voiture de vacanciers et réussissaient finalement à échapper au dispositif de gendarmerie immédiatement déployé. Cependant, des quatre militants abertzale seuls trois parvenaient à échapper ainsi aux gendarmes. Le quatrième militant, dès le début de la fusillade, s'enfuyait, au vu de nombreux témoins, en direction de la forêt qui entoure le camping de Léon. Dès cet instant, plus personne ne reverra Jean-Louis Larre 'Popo', si ce n'est ceux qui ont eu raison de lui et ont maintenu, depuis 17 ans, un lourd et terrible secret.


La chape de silence se brisera néanmoins ce mercredi 22 mars avec le procès de 4 militants d'IK devant la Cour d'Assises Spéciale de Paris. Devant un jury uniquement constitué de juges professionnels sont donc appelés à comparaître Filipe Bidart, Gabi Mouesca, Ttotte Etxebeste... et Popo Larre!

Longues et vaines recherches

Pour Iparretarrak les choses sont tragiquement claires. Popo Larre n'a pu, en aucune façon, échapper au dispositif et à la traque des gendarmes dans une forêt landaise qui s'est refermée sur lui comme un piège mortel. A la suite de l'arrestation, le 1er mars 1984 à Bayonne, de Gabi Mouesca, lors de laquelle son chauffeur Didier Laffitte était tué d'une balle tirée dans le dos par un inspecteur de la Police Judiciaire, l'organisation clandestine accusait clairement l'Etat français et plus précisément les gendarmes d'avoir intercepté Popo Larre, lui avoir fait subir "les pires brutalités et tortures" pour, à la fin des fins, le faire disparaître. 17 ans sont passés, ponctués par une procédure singulièrement longue et durant laquelle 145 scellés sur 167 ont "disparu" dans la nature, "perdus" par les services de l'administration judiciaire. Le temps a fait son oeuvre d'anesthésie des consciences et le procès du 22 mars servira déjà à raviver les mémoires défaillantes, à comprendre combien reste grande la souffrance d'une famille confrontée à un impossible deuil. A rappeler aussi qu'Iparretarrak n'est pas resté inerte lorsqu'il devint évident que quelque chose de terrible était arrivé à Popo Larre. Ainsi, dans une tribune libre parue dans le quotidien Egunkaria (04-02-2000), Filipe Bidart évoquait ainsi les jours et les semaines qui suivirent l'affrontement de Léon: "Nous t'avons attendu Popo, attendu que tu nous fasses signe; puis nous t'avons cherché Popo, longtemps, très longtemps, dans les Landes, à Bordeaux, ailleurs, parfois au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité, mais à mesure que les jours, les semaines et les mois passaient, nous avons dû nous résoudre à imaginer l'inimaginable, à croire ce que nous refusions de croire. Que les flics t'avaient attrapé, sauvagement interrogé, torturé même, jusqu'à la mort et qu'enfin ils t'avaient jeté dans un trou. Nos doutes se sont mués en certitude lorsque nous nous sommes aperçus que les flics avaient retiré des lieux publics ta fiche de recherche; cela a été, à nos yeux, leurs aveux flagrants, la preuve qu'ils savaient que tu ne reviendrais plus".

L'étrange affaire Pascal Dumont.

Dans sa lettre ouverte, Filipe Bidart évoque également la très étrange affaire Pascal Dumont, un jeune homme de la région bordelaise disparu à la même époque que la fusillade du camping de Léon. Un corps rejeté par la mer quelque deux semaines après l'affrontement du 7 août 1983 sera découvert sur la plage de Lacanau-Océan, un corps totalement méconnaissable mais que les parents de Pascal Dumont furent quasi-contraints de reconnaître comme étant celui de leur fils. Quelques temps après l'enterrement, les parents du jeune girondin demandèrent l'exhumation du corps afin d'expertises poussées visant à une identification formelle. Une demande plusieurs fois réitérée et à chaque fois repoussée par les autorités judiciaires compétentes. Une bien curieuse attitude, propice à toutes les interrogations et, en particulier, celle de savoir si véritablement le corps enterré comme étant celui de Pascal Dumont est bien le sien. Et si des expertises montraient - aujourd'hui cela serait possible avec l'ADN - que ce ne sont pas les restes mortels de Pascal Dumont qui ont été enterrés sous son nom, il faudrait bien répondre à un certain nombre de questions comme, par exemple: qui est réellement le corps porté en terre comme celui de Pascal Dumont ?, pourquoi aurait-on eu recours à une telle supercherie ? qu'est alors devenu Pascal Dumont ? Pourrait-il s'agir de Popo Larre ?

Pacal Dumont.jpgCes questions là seront sans doute posées lors du procès du 22 mars et on verra alors quelle sera l'attitude des juges et du procureur. A la suite des accusations d'Iparretarrak, la famille de Popo Larre porte plainte et se constitue partie-civile. L'antenne P.J. de Bayonne se livre alors à un semblant d'enquête dont je fus personnellement un des témoins. En effet, alors que je me trouvais en villégiature à la Maison d'Arrêt de La Santé à Paris, je reçus, en février 1989, la visite du commissaire Marc Pasotti, chef - à l'époque - de l'antenne P.J. de Bayonne, qui me posa la question suivante: "avez-vous connu Jean-Louis Larre ?". Il ne me fut même pas nécessaire de mentir pour répondre par la négative. Par contre je profitais de cette visite surprenante pour préciser, qu'à mon sens, la police ne cherchait pas vraiment dans la bonne direction et qu'il fallait plutôt qu'elle s'intéressât à ses collègues de la maréchaussée. La moue dubitative du commissaire Pasotti me fit instantanément comprendre que, de ce côté là, la Police Judiciaire ne ferait pas grande investigation.Ils ont beau se détester cordialement, ils ont le même employeur et ils servent les même intérêts...

La rumeur ignoble et les zélés zélateurs

Le commissaire Pasotti me demanda aussi - c'était peut être essentiellement ce qui expliquait sa démarche - si, par hasard, Popo Larre n'avait pas été éliminé par IK, pour le punir de s'être enfui lors de l'affrontement de Léon! Une rumeur très opportunément colporté en Pays Basque Nord, dès les premiers mois de la disparition de Popo... Plutôt que de répondre par le mépris, ce qui aurait été amplement justifié, je lui rétorquais que c'était bien mal connaître la mentalité d'Iparretarrak. Si l'on admet comme plausible que la rumeur selon laquelle IK avait supprimé Popo soit partie de la gendarmerie, tout au moins de certains de ses services, sa diffusion, en revanche, doit beaucoup aux milieux opposés à un processus de lutte abertzale autonome en Pays Basque Nord.

Qu'avez-vous fait de Popo?

La rumeur insidieuse n'allait pas tarder à faire long feu car elle ne résistait pas à la plus élémentaire des réflexions. Cependant, le souvenir de la disparition de Popo a eu à subir l'épreuve du temps qui passe et, en faisant traîner la procédure judiciaire au delà de toutes les limites connues, la "justice" française savait sans doute ce qu'elle faisait. Il n'est pas à exclure en outre que le pouvoir judiciaire comptait sur l'usure du temps pour se prémunir d'une mise en accusation trop vivace. Le procès du 22 mars doit pouvoir servir à retourner l'accusation. On peut faire confiance à Filipe Bidart, Gabi Mouesca et à Ttotte Etxebeste pour dire tout cela, et pour poser encore une fois publiquement la question: qu'avez vous fait de Popo?

Allande Socarros

Les commentaires sont fermés.